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E Betsellère "L'oublié" huile sur toile 1872, Musée Bonnat Bayonne

 

Les oubliés de la guerre 70

Emile Betsellère "L'oublié", huile sur toile 1872, musée Bonnat, Bayonne.

Pour aller plus loin.

Alors que nos deux articles sur les victimes des cantons de Mareuil sur Lay et de Luçon pendant la guerre de 1870 sont tout juste parus dans le 77ème numéro de la revue semestrielle de l’Association Culturelle du Pays Mareuillais, la découverte hier de deux nouveaux documents complète notre propos…

Quelle ne fut pas ma surprise hier, en visitant le musée des Arts de Nantes, de découvrir le tableau de Jean-Baptiste DETAILLE consacré à la bataille de Champigny lors de laquelle périrent 5 soldats mareuillais et 2 luçonnais. Cette huile sur toile de grandes dimensions (1,66 x 4,57 m) n’est en fait qu’un des soixante-cinq fragments d’un panorama circulaire de 120 mètres de long sur 15 mètres de hauteur réalisé pour figurer ce combat. Les 30 novembre et 2 décembre 1870, la bataille de Champigny sur Marne, à laquelle a participé le 35ème régiment de mobiles de la Vendée, a fait, selon les évaluations, de 9000 à 9500 morts côté français et de 3000 à 5500 morts côté prussien.

Jean-Baptiste Edouard DETAILLE "Fragment du panorama de la bataille de Champigny", huile sur toile, 1882, musée des Arts Nantes.

Le second document, jusqu’alors inconnu, est une lettre issue des archives municipales de la Couture. Merci à André Duret, président de l’ACPM, pour cette communication. Ce courrier du 21 mars 1871, rédigé par Armand Rouzeau Girardière, maire de Mareuil sur Lay, est destiné à ses confrères des autres communes du canton et concerne les dispositions concernant l’organisation « d’un service funèbre et solennel en mémoire des Mobiles décédés ». Ce témoignage nous apprend que pour commémorer la mémoire des soldats mareuillais de la 5ème compagnie du 35ème régiment de mobiles de la Vendée morts pendant la guerre de 1870/1871, on avait tout d’abord envisagé d’ériger une colonne dans le cimetière. Finalement toutes les autorités, communales et ecclésiastiques, vont répondre à l’appel du capitaine de cette compagnie ; une souscription sera ouverte, « l’offrande, tant minime qu’elle soit » de toutes « les personnes généreuses et charitables » des communes du canton « sera bien accueillie ». Le jeudi 30 mars 1871 donc, à 9 heures du matin, un cortège se réunira à la mairie de Mareuil pour se rendre à l’église où, après une messe, une plaque sur laquelle « les noms de nos chers malheureux mobiles décédés seront gravés en lettres d’or » sera dévoilée dans le chœur de l’église.

(Archives municipales de La Couture)

« Mareuil, 21 Mars 1871

Monsieur et Cher Collègue

Les Mobiles du Canton formant la 5ème compagnie sont de retour de Paris. Cette compagnie qui, en partant, était au complet, ne l’est plus à son retour ; le chiffre des morts (27) est malheureusement trop élevé. Sur la proposition du Capitaine de la compagnie et de concert avec M. le Curé de Mareuil, il a été décidé que le jeudi 30 de ce mois, à 9 heures et demie du matin, il serait chanté dans l’église de Mareuil, un service funèbre et solennel en mémoire des Mobiles décédés.

M. le Curé de Mareuil fait un appel à ses confrères du canton, afin de joindre leurs prières aux siennes, de mon côté, je vous prie, mon cher Collègue, de vous joindre à moi dans cette circonstance solennelle, et d’engager votre conseil et les habitants de votre commune à nous accompagner.

Le cortège se réunira à la Mairie de Mareuil à 9 heures précises du matin.

Afin de perpétuer le souvenir de cette triste cérémonie, il a été décidé aussi qu’une colonne inscription commémorative serait érigée dans le cimetière chœur de l’église du chef-lieu de canton ; les noms de nos chers malheureux Mobiles décédés seront gravés sur cette colonne en lettres d’or sur une plaque de marbre. Ce monument, qui sera la propriété du canton, devra être construit aux frais des communes par voie de souscriptions. Je viens donc vous prier de vous adresser aux personnes généreuses et charitables de votre commune ; l’offrande, tant minime qu’elle soit, sera bien accueillie, et les familles affligées en seront reconnaissantes.

Agréez, Monsieur et cher Collègue, l’assurance de ma sincère considération.

 

Le Maire,

A Rouzeau

 

N.B. Pendant la cérémonie funèbre, une quête qui remplacera, au besoin, la souscription, sera faite dans l’église ; le produit sera destiné à couvrir les frais de la plaque de marbre dont il a été parlé. »

Ce dernier document confirme lui aussi que ce serait effectivement à l’initiative d’Edouard Cornu de Kernars, capitaine du 2ème bataillon, 5ème compagnie au 35ème régiment de la Garde Mobile de la Vendée, que les victimes mareuillaises furent honorées. Celui-ci a su mobiliser les différentes parties, religieuses, administratives et privées pour la concrétisation de ce projet initiateur dans le département de la Vendée.

 

03 juillet 2021

Pour aller encore plus loin.

Dans notre précédente étude, je m’interrogeais sur la possibilité qu’avaient les familles d’obtenir des informations sur leur(s) parent(s) parti(s) au combat. La lettre circulaire de Monseigneur Charles Théodore Colet, Evêque de Luçon au clergé de son diocèse du 20 décembre 1870 nous apporte un élément de réponse. Concernant « les besoins de nos compatriotes prisonniers en Allemagne, au nombre de plus de trois cent mille …/… il vient de se fonder à Bruxelles une Société internationale de secours pour les prisonniers de guerre. …/…(qui) sollicitait en faveur de ces prisonniers des secours de toute sorte dans les divers Etats de l’Europe, il (le Comité) obtenait à Berlin l’autorisation de relever exactement leurs noms avec l’indication de leur lieu de naissance dans chaque dépôt ou hôpital. Muni de ces renseignements, le Comité s’offre à donner aux familles des nouvelles des prisonniers, et à transmettre à ceux-ci, aux conditions fixées par le Gouvernement prussien, les correspondances et les dons en nature ou en argent. »[1]

Une Commission, chargée de se mettre en rapport avec le Comité de Bruxelles et de centraliser en un seul lieu les envois destinés aux prisonniers, est établie à Luçon. Elle est composée de :

Président :                  Mgr Charles Théodore Colet, évêque de Luçon.

Vice-Présidents :        Mgr de Lespinay, vicaire-général, protonotaire apostolique.

                                      M Raud, maire de Luçon.

Secrétaires :               M l’abbé Simon, vicaire-général.

                                      M Alfred Biré, notaire à Luçon.

Trésoriers :                 M Jaud, premier adjoint au maire de Luçon.

                                      M A de Hillerin, membre du conseil municipal.

 

« Afin de mettre le Comité de Bruxelles en position de distribuer plus rapidement et en plus grand nombre les vêtements, objets en laine et chaussures chaudes, qui seraient si utiles à nos pauvres prisonniers à l’entrée d’un hiver rigoureux, »[2] l’évêque désire que les curés « dont les paroisses n’auraient encore versé que de faibles sommes pour cette œuvre dont l’intérêt et l’urgence sont incontestables, y pourvoient au moyen d’une quête qu’ils feront dans leur église, le premier ou le second dimanche de janvier. »[3]

Dans une longue lettre du 23 mars 1871, Monseigneur Charles Théodore Colet, Evêque de Luçon, rend compte à ses curés et leurs paroissiens des travaux du comité de secours pour les prisonniers de guerre. « Le comité a fait six envois d’argent qui ont eu lieu les 2, 12, 23, 31 janvier, 20 février et 2 mars. Le nombre des prisonniers auxquels des secours en argent ont été spécialement et nommément envoyés par leurs familles, est de cinq cent vingt-cinq. Le total des fonds adressés à Bruxelles est de seize mille soixante-huit francs sur lesquels sept mille cent quatre-vingts francs résultent du produit des quêtes faites dans le diocèse en faveur des prisonniers de guerre. [4]»

« Voulant diminuer les souffrances que la rigueur d’un hiver exceptionnel imposait à nos malheureux prisonniers, [5]» des vêtements seront rassemblés et expédiés en un seul envoi le 20 janvier 1871. Trois cent quarante-quatre colis représentant 874 kilogrammes sont adressés à 52 villes.

En raison de l’occupation prussienne sur le territoire français, les envois d’argent comme celui de vêtements durent passer par l’Angleterre. De plus, du fait des conditions climatiques et de l’encombrement des chemins de fer en France et en Europe, les vêtements ne parviennent que vers le 17 ou 18 février à bon port mais ne trouvent pas toujours leurs destinataires qui avaient parfois changé de dépôt.

On vient de voir qu’il était parfois possible d’avoir des nouvelles des soldats prisonniers en Allemagne mais qu’en était-il de ceux, pris au piège du siège de Paris, ou de ceux malades, blessés ou décédés ? « Les secrétaires du comité ont transmis plus de six cents demandes de la part de parents vendéens qui cherchaient à connaître le sort d’un fils ou d’un frère dont ils n’avaient pas de nouvelles. Malheureusement les recherches que ces demandes ont occasionnées au comité international, à Berlin et dans toute l’Allemagne, étaient extrêmement difficiles à cause du nombre inouï des prisonniers français, et de la multiplicité des villes de dépôt. Une autre raison s’opposait d’ailleurs à ce que ces investigations eussent toute l’efficacité désirable. Ceux-là seuls en étaient l’objet qui n’avaient pas donné signe de vie depuis longtemps, et tout autorisait la crainte qu’ils ne fussent morts sur les champs de batailles ou dans les ambulances[6]. »[7]

L’armistice a été signé le 28 janvier 1871. Mais après des mois de résistance et de privations, les Parisiens refusent cette reddition et créent leur propre gouvernement révolutionnaire. C’est la Commune de Paris qui s’achèvera par la semaine sanglante le 28 mai 1871. L’attente est bien longue pour les familles sans nouvelles. Une douzaine de sociétés déclarées neutres viennent en aide aux blessés. Dans ses lettres, l’évêque de Luçon parle d’une Société internationale de secours pour les prisonniers de guerre fondée à Bruxelles, du Comité de Bruxelles ou belge, du Comité de Genève et enfin du Comité de Luçon, mais rien ne nous permet de savoir s’il s’agit là de sections locales de la toute jeune Croix Rouge créée en 1864 sous le nom de Société de Secours aux Blessés Militaires (SSBM) ou d’une autre de ces sociétés.

Nous n’avons donc pas encore levé toutes les interrogations concernant les conditions dans lesquelles les familles recevaient d’éventuelles nouvelles d’un proche ; parfois synonymes, au terme d’une interminable attente, de l’annonce fatale tant redoutée.

29 octobre 2021

 

[1] Lettre circulaire de Monseigneur l’Evêque de Luçon au clergé de son diocèse du 20 décembre 1870. In actes de l’église de Luçon 1870 – 1871.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Lettre de Monseigneur l’Evêque de Luçon aux curés de son diocèse du 23 mars 1871. In actes de l’église de Luçon 1870 – 1871.

[5] Ibid.

[6] Une ambulance militaire est un hôpital militaire dressé à proximité du champ de bataille.

[7] Lettre de Monseigneur l’Evêque de Luçon aux curés de son diocèse du 23 mars 1871. In actes de l’église de Luçon 1870 – 1871.

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