La crise sanitaire de 1740 à Mareuil sur Lay
A l’occasion de recherches généalogiques, le mariage de deux de mes aïeux, Mathurin JOUSSEMET et Marie THIBAUDEAU, célébré le 27 juin 1740 à Venansault[1], dans l’actuelle Vendée, a attiré mon attention car, comme vous allez le découvrir, il y a quelques résonnances avec la situation sanitaire que nous vivons actuellement.
Mathurin et Marie sont tous les deux mineurs, Marie n’a que 19 ans ; le mariage n’aurait-il pas été célébré dans l’urgence pour régulariser une situation embarrassante avant une future naissance ?
Quelques recherches me permettent de lever cette hypothèse de la réparation d’une « faute ». Si sept enfants au moins vont naitre de cette union, le premier, Mathurin (il est dans la tradition de donner le prénom du père et de la mère à l’ainé des fils et des filles), vient au monde le 12 septembre 1745 soit 5 ans après le mariage ! Marie a-t-elle fait plusieurs fausses couches pendant ces années ? Cela semble peu probable puisqu’elle a enfanté à 7 reprises par la suite. Mais alors, pourquoi cette union aurait-elle été arrangée ? Les mariés étaient si jeunes.
La réponse est, semble-t-il, dans l’acte de mariage : trois des quatre parents sont décédés et les deux mariés sont assistés de leur curateur… Peut-être faut-il tout simplement les « caser » ? Quelques recherches supplémentaires me permettent d’apprendre que Louis THIBAUDEAU, le père de la mariée est décédé le 27 février 1740 à Mouilleron le Captif. Quant aux parents du marié, Pierre JOUSSEMET est mort le 23 février 1740 à Venansault et sa femme, Françoise BOUCAUD, le 25 février 1740. Trois décès en quatre jours ! Et ce n’est pas tout ! Le 14 février 1740, Françoise, la mère du marié avait donné naissance à un fils, Louis, qui décèdera 4 jours plus tard. ! Il ne peut s’agir que d’une épidémie.
Je décide donc de faire le décompte des sépultures recensées dans les registres paroissiaux de Venansault pour les années 1739 à 1741.
Le décompte des sépultures effectuées sur ces trois années met en évidence l’ampleur d’une crise épidémique qui touche la paroisse du 1er février au 15 mars 1740. 32 décès sont enregistrés à Venansault sur cette période en 1740 contre seulement 3 en 1739 et également 3 en 1741 ! Si de légers pics sont visibles chaque année en hiver, ils ne sont en aucune mesure comparables à l’amplitude de février à mi-mars 1740.
Une rapide recherche me confirme que l’hiver 1739/1740 a été rigoureux : « En France la saison froide dura du mois d’octobre 1739 jusqu’à mars 1740 ; à Paris on compta pendant ce temps 75 jours de gelées dont 22 consécutifs. Les gelées de 1740 furent moins rigoureuses que celles de 1709. »[2] « Réaumur affirme que si « le nom d’année du grand hiver est devenu propre à 1709, celui du long hiver est dû à aussi bon titre à 1740 ». Le grand froid arrive en fait entre novembre 1739 et février 1740, avec des moyennes mensuelles descendant en janvier jusqu’à -4/-5 degrés aux Pays-Bas. »[3]
« Cette année l'hyver fut fort rude et long, le froid commença le jour des Roys et ne finit que le 4 de mars » [4]
Le curé d’Aubergenville, entre Mantes–la-Jolie et Paris, nous confirme cette crise hivernale : « L’hiver de 1740 fut fort long, et le froid excessif. Il y eut presque partout des maladies qui emporterent beaucoup de monde. On n a jamais vu les eaux aussi grosses qu’au mois de mars de cette année. On disait cependant que la Seine avait monté aussi haut cent ans auparavant. La recolte fut bien mauvaise, les grains etoient de mauvaise qualité. Ce n’est point cependant a la qualité des grains quon doit attribuer la mortalité de 1740 puis qu elle se declara au moins six mois avant la recolte de cette année. Ce fut la rigueur de l’hiver, et l’abondance des pluies froides qui succéda aux gellées qui causa ce desastre. …/…
En 1694 année de famine. Il y eut a Aubergenville 4 Baptêmes, deux mariages, et 41 enterremens
En 1709 année de disette. Il y eut 14 Baptêmes point de mariages, et 21 inhumations.
en 1740. Il y eut 18 Baptêmes, 3 mariages, et 24 enterremens. »[5]
Etudions la situation dans les paroisses du bassin mareuillais.
L’actuelle commune de Mareuil sur Lay Dissais recouvre en 1740 quatre paroisses : Mareuil sur Lay, Saint André sur Mareuil, Beaulieu sur Mareuil et Dissais. Effectuons les relevés des sépultures recensées dans leurs registres paroissiaux pour les années 1739 à 1741 pour savoir dans quelle mesure le bassin mareuillais a été touché par cette crise.
Les graphiques obtenus font eux aussi apparaitre nettement la crise épidémique de 1740 dans les paroisses de Mareuil sur Lay. Par contre, si la paroisse de Venansault a été touchée de début février à mi-mars, le bassin mareuillais n’est atteint qu’au mois de mars, les décès s’échelonnant du 1er au 27 mars 1740. Les deux localités sont distantes d’une trentaine de kilomètres, les déplacements des populations sont alors limités et la pandémie progresse lentement ; nous verrons que la région d’Angers n’est touchée qu’en mars-avril. Sur l’ensemble de ces 4 paroisses, 36 décès sont comptabilisés en mars 1740 contre seulement 2 en mars 1739 et 1 en mars 1741. Si l’ampleur de l’épidémie est manifeste et comparable pour trois des paroisses, celle de Dissais semble épargnée. On n’y compte que 3 décès dont un enfant à la naissance et sa mère deux jours plus tard, des morts qui ne semblent donc pas liées à cette maladie. Pourquoi cette paroisse serait-elle préservée ? La population de Dissais était probablement nettement inférieure et de ce fait moins impactée que ses voisines. Nous ne disposons pas des chiffres pour 1740 mais les données de 1778 (voir tableau ci-après) ne confirment pourtant pas totalement cette hypothèse. Sur la paroisse de Beaulieu la population est moins importante qu’à Dissais mais essentiellement concentrée sur le village de Beaulieu ; l’épidémie y a fait des ravages. Par contre, la paroisse de Dissais est excentrée du bourg de Mareuil. A l’écart des principaux axes de communication, le village de Dissais proprement dit comporte peu de maisons et la paroisse est également constituée d’un autre petit village, Journée, et de nombreuses fermes ou hameaux de une à trois maisons. La population est donc éparpillée sur l’ensemble du territoire de la paroisse, sans de grandes concentrations propices à une contagion.
Le caractère épidémique de la crise est confirmé et plusieurs contemporains témoignent et décrivent les manifestations de la maladie.
« L’hiver de 1740 n’a pas seulement fait périr les cultures, il a aussi tué des hommes. On sait qu’en Anjou une grande épidémie de grippe sévit de février à mai, l’essentiel des décès se situant en mars-avril. Cette épidémie a pu être identifiée grâce à plusieurs témoignages et notamment celui du Doyen de la Faculté de Médecine d’Angers, Henri Jouanneaux qui, dans le Mémoire sur la maladie qui règne à Angers et dans une grande partie de la province, remis à l’intendant le 27 avril 1740, en décrit ainsi les symptômes : « douleurs dans les côtes, maux de tête, nausées fréquentes, sueurs, crachats purulents, déjections bilieuses, mouvements convulsifs, délire léthargique ». Il a fait aussi remarquer le caractère contagieux de la maladie : « on l’a vue rarement n’attaquer qu’une ou deux personnes de chaque maison… ; des communautés de 50 à 60 religieuses en ont eu d’atteintes, en cinq ou six jours de temps, de sorte qu’à peine en est-il resté 7 à 8 pour soulager les autres »[8]. Le curé de Challain-la-Potherie, village situé dans l’actuel Maine-et-Loire, écrit : « en cett’année Mil Sept cent quarante, un froit excessif a commancé le jour des roix et a duré pendant deux mois jusqu’au Sept Mars …/… Il y a eu cett’année une grande mortalité, la maladie etoit un point de côté et un violent mal de tête qui enlevoit le malade en cinq ou six jours. »[9] Celui de Béhuard, sur les bords de la Loire au sud d’Angers, précise le 23 avril : « La maladie de lannee estoit appellee pleuresie epidemique. elle prenoit par un mal de costé, fievre continue, degenerant en fluxion de poitrine ou Bien par un mal de teste et de cœur. pour Lun et Lautre lemetique[10] estoit tres en usage. Il a esté peu de personne exempte de ce mal il est mort jusqua ce jour en denee[11] cinquante et Behuard 80 personnes jusqua ce jour Rochefort et St aubin de Luigne ont esté tres endommagé du mal. Les medecins ne connoisoient rien de cette maladie. La rechute estoit presque toujours mortelle. Il estoit des maisons où il ne restoit personne. La maladie suivoit le sang. Cette maladie causee par le grand froid et la secheresse ce 23 avril que j’ecris il na presque point tombe deau depuis noel le vent estant toujours du nord ou du levant et tres froid lannee est retardee de plus dun mois la secheresse fait craindre pour les bleds la pesche est sterile il y avoit peu de poison …/… 70 feu 180 personnes ou communiants»[12]
Quelles furent les victimes de cette épidémie ?
A Venansault, les 32 décès s’échelonnent du 2 février au 15 mars. A Mareuil sur Lay, l’épidémie est plus tardive et plus courte (du 1er au 27 mars) et fait 36 victimes.
La mortalité infantile est toujours très importante à cette époque. Les accouchements sont souvent difficiles et sont réalisés dans des conditions sanitaires déplorables. A Mareuil par exemple, sur les 9 décès de moins de 1 an, 5 enfants sont morts à la naissance et ont souvent été ondoyés par la sage-femme, trois autres sont décédés dans les jours suivants la naissance ; on ne peut donc pas considérer que ces décès soient forcément liés à la contagion.
« Les enfants sont presque toujours épargnés tandis qu’adultes et vieillards, principales victimes, succombent souvent à une rechute. »[13] Cette observation pour la région angevine est vérifiée à Venansault et à Mareuil ; on ne compte peu ou pas de victimes dans les tranches d’âges de 7 à 39 ans. Il y a bien sûr des décès dans la tranche 2 – 6 ans mais cela s’explique car c’est une partie de la population importante en nombre et également particulièrement sensible. Ce sont donc les personnes plus âgées qui paient un lourd tribut à la maladie. La baisse du nombre de victimes pour les tranches extrêmement âgées s’explique par le nombre moins importants d’individus dans la population. La maladie touche les hommes et femmes de façon pratiquement équivalente.
Est-ce que toutes les couches sociales ont été également touchées ?
Les actes de décès ne mentionnent pas forcément le statut de la famille. Nous noterons cependant à Venansault 7 membres de famille de laboureur, un de journalier et un de domestique. Une personne est inconnue, retrouvée dans une maison, peut-être un vagabond. Un autre acte a été signé par Jacques Tireau, le mari de la défunte, ce qui est rare à l’époque et traduit une certaine instruction. Maitre Louis Bonnin, sieur de la Monerie enterre sa femme et son fils. Messire Pierre Bonnaventure Gouin Duplanty, clerc tonsuré, bachelier en théologie, Chapelain de la Roche Henry est inhumé dans l’église. A Beaulieu sur Mareuil, nous avons 9 membres de famille de métayer et 2 de journalier. Pour le bourg de Mareuil sur Lay nous avons 3 journaliers, 2 charpentiers, 1 cardeur de laine, 1 maçon, 1 boulanger, 1 domestique, Dame Marie Michau épouse de Mre Nicolas Archambaud et leur jeune fils de trois ans et demi. Par contre les registres de Dissais et Saint André ne nous renseignent pas sur la profession des familles à l’exception d’un maçon dans cette dernière paroisse. Toutes les couches de la société semblent donc indifféremment affectées.
En cette année 1740, nous sommes sous le règne de Louis XV, les traitements médicaux, les connaissances en matière d’hygiène et de modes de transmission des maladies sont sommaires. Nous l’avons vu, les rigueurs de cet hiver particulièrement froid ont eu de lourdes conséquences mais le mauvais temps va perdurer et les récoltes seront mauvaises. Pour couronner le tout, des inondations toucheront le bourg de Mareuil en fin d’année :
« Le douze decembre mil Sept cent quarante le corps de louise charlotte archambaud agée de six ans ou environ de la paroisse de mareil ayant été trouvée noyée par un debordement extraordinaire des eaux (qui a abbatu plusieurs maisons et le grand pont de mareil) a été inhumé dans le cimetière de cette église en presence d archambaud son père et autres qui ne savent signer. »[14]
L’histoire se répète ; l’humanité a été régulièrement confrontée à diverses épidémies telles que la peste (notamment la peste noire en 1340), le choléra, la variole ou plus récemment le VIH. A la fin de la Première Guerre Mondiale la grippe espagnole, qui était un virus de type H1N1, atteint des organismes affaiblis par quatre années de privations et cause au moins 20 millions de morts dans le monde, autant que le nombre de victimes civiles et militaires du premier conflit mondial.
Apparu en Chine en novembre dernier, nous n’étions alors pas préoccupés par ce … « Coronavirus » dont la plupart ignoraient encore le nom! Le 30 janvier 2020, même si l’OMS prononce l’état d’urgence de santé publique de portée internationale, nous nous disons que Wuhan est bien loin et que, comme pour le virus Ebola il y a 5 ans, l’épidémie va être contenue avant qu’un vaccin ne soit proposé. Puis Covid 19 se montre plus pressant ; nos voisins Italiens sont violemment touchés. Le Président de la République nous annonce une mesure de confinement à compter du 17 mars 2020. La menace est réelle même si nous n’en mesurons alors pas encore la véritable ampleur. Mais ce n’est déjà plus une menace et le décompte macabre se fait chaque soir. Cette crise sanitaire est maintenant mondiale et jumelée d’une crise économique sans précédent. Chacun réalise maintenant le drame de la situation. Avant cette crise sanitaire, certains experts, (neurologues, cancérologues, vétérinaires ou autres agronomes), dont Serge Morand, écologue de la santé et directeur de recherche au CNRS/CIRAD, essayaient déjà d’alerter sur l’explosion récente du nombre de maladies infectieuses (« l’épidémie d’épidémies ») du fait de la destruction des écosystèmes[15]. Cela doit nous interpeller et nous amener à réfléchir sur nos priorités et sur les valeurs que nous voulons transmettre à nos enfants.
Pascal PALLARDY, avril 2020
Article publié dans la revue de l’Association Culturelle du Pays Mareuillais (ACPM), « Au fil du Lay » N° 75 du premier semestre 2020, intitulée « Mourir en Bas-Poitou au XVIIIème siècle ».
[1] Archives Départementales de la Vendée, Registres paroissiaux de Venansault, 1738-1765, AD2E300/1, vue 27/319.
[2] Cercle généalogique Lorrain d’Ile de France http://www.cglidf.fr/spip/spip.php?article130
[3] Cristina Munno, La crise démographique de 1740 à Charleville, Histoire & mesure, Editions EHESS, XXVIII-2, 2013, https://doi.org/10.4000/histoiremesure.4799, p 9 & 10.
[4] Archives Départementales d’Ile et Vilaine, Registre paroissial de Livré-sur-Changeon, 1740, 10 NUM 35154 122, dernière page vue 23.
[5] Archives Départementales des Yvelines, Registres paroissiaux d’Aubergenville, paroisse Saint-Ouen, 1721-1770, Collection Départementale, Cote 5MI307BIS, vue 278/421.
[6] Archives de l’Evêché de Luçon, AAR 14, Visites pastorales de Mgr de Mercy 1777-1778. In Au Fil du Lay, revue de l’Association Culturelle du Pays Mareuillais, N°50, 2007.
[7] Population par communes de 1801 à 1962 Département de la Vendée, Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, Direction Régionale de Nantes, juin 1966.
[8] Michel Bricourt, Marcel Lachiver, Denis Queruel, La crise de subsistance des années 1740 dans le ressort du Parlement de Paris, in Annales de la société de démographie Historique, 1974 p 306.
https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1974_num_1974_1_1241
[9] Archives Départementales du Maine et Loire, Registres paroissiaux de Challain la Poterie, paroisse Notre-Dame, BMS 1736 – 1746, Collection communale, vue 55/177
[10] L’émétique est un traitement vomitif.
[11] Denée, Rochefort sur Loire et Saint Aubin de Luigné sont des villages voisins de Béhuard
[12] Archives Départementales du Maine et Loire, Registres paroissiaux de Béhuard, paroisse Notre-Dame, BMS 1723 – 1749, Collection communale, vue 116/178
[13] Michel Bricourt, Marcel Lachiver, Denis Queruel, op. cit. p 306.
[14] Archives Départementales de la Vendée, Registres paroissiaux de Saint André sur Mareuil, BMS 1713 – 1744, vue 102/118
[15] Colloque organisé par CDC Biodiversité le 21 janvier 2020 à Paris intitulé : « Biodiversité et humanité : une seule santé ».