Etude statistique sur les soldats du canton de Mareuil sur Lay
victimes de la Première Guerre mondiale
La première partie de cet article est un recensement des soldats du canton de Mareuil sur Lay, en Vendée, victimes de la première guerre mondiale. Pour chaque commune, nous retranscrivons le Livre d’Or des Archives Nationales[1] qui inventorie les victimes de la Première Guerre mondiale « Morts pour la France ». Ces relevés sont très intéressants car ils fournissent de précieux renseignements : état civil, date et lieu de naissance, régiment et grade, et enfin date et lieu de décès. Bien évidemment le choix de la commune d’inscription pose alors question : doit-on retenir le lieu de naissance ou le lieu de résidence au moment de l’incorporation ? Ces listes témoignent des hésitations de leurs rédacteurs puisque radiations et ajouts y sont mentionnés au fil des échanges avec les municipalités.
Nous comparons ensuite ces listes aux noms inscrits sur les monuments aux morts de chaque localité. Bien évidemment des différences, voire parfois des erreurs, apparaissent. Seule la commune de Corpe a deux listes rigoureusement identiques. En général, pour pallier à quelques oublis, chaque commune a complété la liste officielle de quelques noms de soldats qu’elle souhaitait honorer : tel soldat natif de la commune, ou tel autre y résidant ou y travaillant avant la guerre, mais parfois aussi comme à Bessay, les deux fils de l’instituteur qui n’étaient pourtant pas natifs de la commune et n’y résidaient pas non plus. Bien évidemment, la liste s’allonge avec toutes les victimes revenues du front ou des camps de prisonniers malades ou gravement blessées et qui décèderont dans les mois ou les années qui succèderont au conflit. Il faudra parfois attendre de longues années pour rétablir quelques oublis de l’Histoire ; ainsi, à Rosnay une plaque au nom de Louis Chabot sera apposée sur le monument aux morts en 2010.
A Mareuil on honore un soldat, mort au champ d’honneur bien après la Première Guerre mondiale : il s’agit du lieutenant Robert Morand, engagé volontaire en 1917, juste avant ses 18 ans, qui décèdera à la bataille de Bekrit au Maroc le 29 août 1920. A la Couture, le jeune Marc David n’a pas participé à la Grande Guerre mais décèdera en Syrie en 1922 et sera donc inscrit sur le monument aux morts. A Corpe, le monument paroissial situé dans l’église mentionne Emile Coutin, soldat que l’on croyait disparu depuis le 22 août 1914 et qui rentrera des camps de prisonniers de guerre en janvier 1919.
L’inventaire des monuments aux morts de la commune nous a permis de mesurer l’attachement des municipalités au devoir de mémoire. Les monuments sont bien évidemment entretenus et certains ont été restaurés : de nouvelles plaques de marbres gravées ont été apposées sur les listes dont les lettres s’effaçaient dans la pierre. Florence Regourd remarque en 1991 que « la petite commune de La Claye (…) se contente d’une plaque apposée à la mairie »[2] ; un monument a maintenant été édifié au centre du village.
Quoiqu’il en soit, ces listes sont le témoignage de l’engagement de toute une nation et de la douleur qui a frappé de nombreuses familles, parfois très sévèrement, comme la famille Bonnaud de Péault dont les 5 fils sont décédés ou la famille Baradeau de la Brunetière de Château Guibert qui a perdu 4 de ses 5 fils.
Au-delà, la lecture des fiches personnelles dans le site du Ministère de la Défense « Mémoire des Hommes » et surtout de celles des registres matricules de l’armée révèle la souffrance de ces soldats bien au-delà des épreuves endurées au combat ou dans les tranchées. Ainsi relève-t-on les nombreux décès des suites de blessures ou de maladies, souvent respiratoires ou pulmonaires. Il nous faut aussi penser aux traumatismes psychologiques subis au combat ; le retour au front, après une trop courte permission[3] si longtemps attendue, devient parfois inenvisageable et une « mort subite dans ses foyers, alors en permission de 7 jours » peut paraître suspecte, mais parfois la mention « suicide » est clairement exposée. La « mort à l’asile d’aliénés » d’un soldat qui avait obtenu deux ans plus tôt, la guerre étant pourtant terminée, une reconnaissance d’incapacité de 80% par la commission de réforme pour « confusion mentale grave », illustre elle aussi ces souffrances.
Malheureusement les monuments aux morts ne répertorient en général que les noms et prénoms, parfois même que l’initiale, éventuellement le grade et plus rarement la date du décès. Souvent ces victimes sont répertoriées sur le site « Mémoire des Hommes » mais lorsque ce n’est pas le cas, un long travail de recherche à partir du recensement de 1911, des registres d’état civil et des registres matricules de l’armée ou des registres de conscription de la préfecture a été nécessaire pour collecter les renseignements manquants. Une visite dans la mairie concernée s’est parfois aussi imposée.
Dans chacun des 13 tableaux ci-dessous (un pour chaque commune du canton de Mareuil sur Lay en 1914[4]), la première partie de la liste est la retranscription des renseignements du livre d’or. Elle est suivie d’une courte notice descriptive du monument aux morts communal, puis cette liste est complétée par les noms supplémentaires inscrits sur les monuments aux morts communaux et parfois paroissiaux. Le prénom souligné est celui noté sur le monument aux morts ; c’est en général le prénom usuel du soldat. Lorsqu’une différence intervient, notamment sur l’orthographe, la version du monument aux morts est écrite entre parenthèses.
La seconde partie de cet article est une analyse des informations collectées. Ainsi essaierons-nous de comparer ces données communales et cantonales aux données départementales et nationales afin de déceler les éventuelles particularités locales. Outre le lourd tribut payé par la population mareuillaise, nous nous intéresserons aux classes d’âges particulièrement touchées par ce conflit, aux régiments d’affectation des soldats du canton et aux lieux où ils ont trouvé la mort afin de mieux discerner leur profil militaire.
1 - Recensement par communes du canton de Mareuil sur Lay en 1914 des soldats victimes de la Première Guerre Mondiale
2 - Analyse des données collectées
a) Statistiques cantonales et communales
456 noms de soldats du canton de Mareuil ont été collectés sur les livres d’or et sur les monuments aux morts. 3 d’entre eux ne sont pas décédés pendant la Première Guerre mondiale ou des suites de ce conflit. 20 ont été répertoriés sur deux communes différentes. Il y aurait donc 433 soldats victimes de la Grande Guerre dans le canton de Mareuil sur Lay.
Le tableau suivant récapitule, pour chaque commune du canton de Mareuil sur Lay, le nombre de soldats victimes de la première guerre mondiale répertoriés sur les Livres d’Or et sur les monuments aux morts. Les pourcentages sont calculés par rapport aux données recueillies lors du dénombrement de 1911 (nombres entre parenthèses), dernier recensement effectué avant la Première Guerre mondiale.
La Grande Guerre, premier conflit mondial, mobilise la plus grande proportion d’hommes en âge de porter des armes. Jay Winter[5] estime que 80% des Français et Allemands en âge de se battre ont été réquisitionnés. Ainsi 7 891 000 Français ont été appelés sous les drapeaux.
Le chiffre total des pertes franchit des seuils jamais atteints. Les estimations tournent autour de 8,5 millions de soldats et de 10 millions parmi les civils[6]. Jay Winter totalise, toutes nationalités confondues, 9 405 315 morts et disparus, 21 219 152 blessés et 7 613 945 prisonniers de guerre.
Pour la France, il dénombre 1 375 800 morts et disparus, soit 17,4 % des mobilisés ; 4 266 000 blessés, soit 54,1 % des mobilisés et 537 000 prisonniers, soit 6,8 % des mobilisés. On estime que la France a perdu près de 3,5 % de sa population recensée en 1911 ; ce chiffre est situé entre 4,5 % et 5 % pour le département de la Vendée. Jean Rousseau[7] totalise plus de 21000 Vendéens morts, 45 000 amputés, blessés ou gazés, près de 4000 veuves et entre 5000 et 6000 orphelins.
Le canton de Mareuil sur Lay est donc tout particulièrement touché puisque le nombre de soldats victimes de la Première Guerre mondiale représente 4,9 % de la population recensée en 1911. C’est un canton rural avec une forte population paysanne, main d’œuvre importante et indispensable dans les nombreuses exploitations agricoles. Dans les régions industrielles, l’impact est moins fort car « beaucoup d’ouvriers en revanche, d’abord mobilisés, sont par la suite renvoyés dans leurs usines pour assurer l’indispensable production industrielle, à laquelle le travail des femmes ne peut suffire »[8].
Afin d’essayer de mettre en évidence des particularités communales, nous avons classé les localités suivant différents critères.
Globalement il apparait que le nombre de victimes est lié à la superficie et à la population de la commune. Les communes les plus étendues sont généralement les plus peuplées et celles qui comptent le plus de victimes. Ce sont les 3 mêmes communes qui figurent dans le trio de tête de ces trois classements et nous remarquons le même phénomène dans le trio de queue. Cependant, si nous ramenons le nombre de victimes à la population de la commune, les données sont parfois bouleversées.
Ainsi, c’est la commune la moins peuplée du canton, La Claye, qui est la plus touchée proportionnellement puisque les 14 victimes recensées représentent 11,48% de la population totale. Selon Florence Regourd la commune de La Claye détient le record vendéen[9]. Nous reviendrons ultérieurement sur le cas particulier de cette commune.
Mareuil sur Lay, la commune la plus peuplée du canton n’est pas la plus touchée en termes de nombre de victimes et figure parmi les moins affectées en pourcentage, juste au-dessus de la moyenne nationale. C’est Château-Guibert qui paie le plus lourd tribut avec 75 victimes. C’est, de loin, la commune la plus étendue avec 3516 ha et la seconde commune la plus peuplée.
La Couture est la commune la plus épargnée avec seulement 7 victimes, ce qui représente 2,71 % de la population. Les communes de La Couture et Corps ont donc un taux de victimes inférieur à la moyenne nationale.
Des disparités existent, nous allons essayer de découvrir les spécificités de chaque commune. On pourrait se demander si leurs particularités géographiques ont un lien avec le taux de pertes subies. Le canton de Mareuil sur Lay est divisé en trois secteurs géographiques. Le bocage, au nord du Lay ; la plaine au sud de celui-ci ; et le marais mouillé sur ses rives en aval de Mareuil sur Lay.
Toutes les communes sont rurales, mais celles du nord du canton, situées dans le bocage sont particulièrement touchées. On pourrait tenter de l’expliquer car les exploitations agricoles du bocage sont plus morcelées et demandent une main d’œuvre importante de jeunes ouvriers agricoles gagés dans les fermes ; nous savons que les jeunes classes seront les plus sollicitées et les plus éprouvées. Mareuil sur Lay, chef-lieu de canton, dont la population très majoritairement rassemblée dans le bourg est plus âgée, est moins impacté.
Cependant, comment expliquer que les deux petites communes voisines et aux caractéristiques presque similaires de La Claye et la Couture aient pour l’une le taux de pertes le plus élevé du canton et pour l’autre le plus faible ? Nous relevons la même disparité pour les communes limitrophes de Péault et Corpe, situées dans la plaine. Et comment justifier que certaines communes de la plaine, comme La Bretonnière ou Péault, aient des taux égaux ou supérieurs aux taux des communes du bocage ? Il ne semble donc pas y avoir de lien entre l’origine géographique des communes et les dommages humains subis. Les résultats sont certainement plutôt liés aux affectations de ces soldats et … à la chance.
Essayons maintenant de déterminer quelles furent les tranches d’âges les plus touchées.
b) Analyse par classes d’âges
Le tableau suivant répertorie chronologiquement les décès par classes d’âge. Il va donc nous permettre de déterminer quelles sont les classes d’âges les plus touchées et quelles sont les périodes de la guerre les plus meurtrières, (nous avons découpé les années en trimestres).
Les classes les plus touchées sont donc les classes 1905 à 1916, c’est-à-dire les hommes nés de 1885 à 1896[10]. Cela représente exactement les deux tiers des victimes. Ce sont les hommes qui avaient moins de 30 ans au début du conflit. Toute la jeunesse et les forces vives du pays sont donc particulièrement affectées. Ceci s’explique facilement à partir du tableau de répartition des classes dans les armées d’active, territoriale et de réserve[11]. Les classes 1911 à 1913 sont dans l’armée active, et les classes 1900 à 1910 dans la réserve de cette armée active. Ce sont ces régiments qui sont envoyés en premières lignes. Les classes 1893 à 1899 sont dans l’armée territoriale et les classes 1887 à 1892 constituent la réserve de cette dernière. Ces soldats, les plus âgés et les moins entrainés, sont donc cantonnés dans ces régiments territoriaux qui ne devaient, en principe, pas coopérer aux opérations militaires et étaient chargés des services d’intendance ou de gardes. Certains de ces régiments se trouveront cependant en première ligne durant la guerre de mouvement au tout début du conflit. Les nombreuses pertes subies lors de ces 5 premiers mois (16,63 % des victimes mareuillaises) incitèrent à intégrer les territoriaux les plus jeunes dans les régiments d’active dès la fin 1914.
Les classes les plus âgées sont donc épargnées ; mais, pour éviter la pénurie d'hommes, « la classe 1914 est rapidement appelée par anticipation, deux mois avant la date prévue. Ensuite, chaque année fut appelée une classe, mais avec 11 mois d'avance pour la classe 1915 et plus d'un an et demi d'avance pour les classes 1916 à 1919 sur la date théorique d'incorporation. Ainsi, au lieu d'avoir 20 ans au moment de leur incorporation, les recrues n'en avaient que 18 ou 19 »[12]. Entrées progressivement dans le conflit, ces jeunes classes mareuillaises vont être tout aussi durement touchées, notamment pour les classes 1914 et 1915 à partir du deuxième semestre 1915. Les dernières classes, incorporées à partir de 1917, seront moins éprouvées.
Nous reviendrons ultérieurement sur les périodes les plus meurtrières en fonction des régiments et des lieux de batailles, nous noterons pour l’instant qu’outre l’année 1914, 1915 et 1916 furent également des années difficiles, une relative accalmie est enregistrée de janvier 1917 à mars 1918, avant une nouvelle hausse en fin de conflit.
Il est indéniable que la Première Guerre mondiale a eu des répercussions fortes sur l’économie et la vie de nos communes rurales dans les années 20. On note ainsi que dans la moitié des communes du canton de Mareuil sur Lay, le quart, voire le tiers, des soldats mobilisables a péri lors de ce conflit et ces chiffres ne prennent pas en compte les soldats blessés, amputés ou atteints de maladies respiratoires. Le nombre de victimes du canton de Mareuil représente 22,48 % des hommes mobilisables (hommes nés de 1867 à 1899[15]), le pourcentage serait donc encore supérieur s’il était calculé par rapport aux hommes effectivement mobilisés ; Alain Gérard estime que 20% des mobilisés vendéens périrent[16]. On mesure alors d’autant plus l’importance de l’impact de ce conflit sur le canton de Mareuil sur Lay, surtout quand on se rappelle que le nombre de morts et disparus au niveau national ne représente que 17,4 % des mobilisés français.
L’observation par classes d’âges permet d’affiner ces statistiques. Si les « anciens » ont été relativement préservés pour les raisons évoquées ci-avant (3,8 % des plus de 40 ans et 15,6 % des trentenaires), ce sont 42,4 % des jeunes hommes de 21 à 30 ans en 1914 qui périrent lors de cette guerre ; avec un record de 78,1 % sur la commune de Péault et 23,3 % des jeunes de moins de 20 ans. C’est donc toute la force vive du pays qui est amputée, on en imagine les conséquences sur l’économie, la vie quotidienne et sociale de ces communes agricoles au lendemain de la guerre.
Revenons sur le cas particulier de la commune de La Claye, « record vendéen » avec ses 11,48% de victimes qui représentent les 2/3 des hommes mobilisables. Nous remarquons que 9 hommes des classes 1904 à 1913 sont décédés alors que seulement 5 avaient été recensés en 1911, ce qui fait un pourcentage de 180 % !! En fait, une seule de ces 9 victimes avait été recensée en 1911, 6 autres de ces victimes sont nées à La Claye ou y ont vécu, leurs parents y résidant en 1911 et enfin 2 ont été répertoriées également dans deux autres communes. La Claye est un tout petit bourg sans grande possibilité d’hébergement et certainement sans proposition de travail pour tous, la commune ne couvre qu’une superficie de 327 hectares. Les jeunes gens sont donc contraints d’aller travailler en dehors de la commune mais ont cependant été répertoriés au nombre des victimes de ce village. Ceci explique le taux record de la commune et ce phénomène est amplifié par le faible nombre servant de base de calcul (population totale de 122 habitants en 1911), le moindre cas particulier a donc des incidences importantes sur le pourcentage final.
Quoiqu’il en soit, tous ces chiffres témoignent de l’hécatombe subie.
c) Profil militaire des victimes et engagements dans le conflit
La Première Guerre mondiale marque une mutation profonde des pratiques militaires ; c’est l’occasion de pénétrer dans l’ère de la guerre industrielle. Au début du conflit, la révolution industrielle de la seconde moitié du XIXème siècle n’a pas encore modifié la conception militaire des stratèges. Les armées sont encore basées sur l’importance des effectifs humains. La cavalerie est présente mais en perte de vitesse. L’artillerie n’a, en 1914, pas encore l’importance qu’elle se construira tout au long du conflit[17]. La France est bien équipée dans l’artillerie de campagne avec son canon de 75 mm mais l’artillerie lourde est le parent pauvre. Devant la suprématie allemande dans ce domaine et l’importance de cette arme à longue portée lorsqu’elle va menacer la capitale française lors de la bataille de la Marne, le développement de l’artillerie lourde va s’intensifier tout comme l’utilisation du train qui va servir à transporter les grosses pièces. L’aviation, à ses tout débuts, va également connaître un essor. C’est donc sans surprise que nous constatons qu’une très large majorité des victimes mareuillaises est mobilisée dans l’infanterie (84,5 %), d’autant plus que cette arme est certainement la plus exposée ; 10 % sont dans l’artillerie et le reste des armes ne représente que 5 %.
Bien que les soldats aient assez souvent changé d’affectation pendant le conflit, le relevé des victimes en fonction de leur dernier régiment nous permet d’établir leur profil militaire et nous donne un aperçu des forces engagées.
A la mobilisation, chaque régiment d'active crée un régiment de réserve dont le numéro est le sien plus 200. Les Régiments d’Infanterie vendéens sont le 93ème RI, cantonné à la Roche sur Yon et le 137ème RI de Fontenay le Comte. Ils seront respectivement renforcés par les 293ème RI et 337ème RI, leurs régiments de réserve ; et par les 83ème et 84ème Régiments d’Infanterie Territoriaux et les 283ème et 284ème RIT, les régiments territoriaux de réserve.
Le canton de Mareuil dépend du bureau de recrutement de La Roche sur Yon. C’est donc dans les régiments yonnais que l’on dénombre le plus de victimes du canton (19,2 %) alors que les Fontenaysiens ne sont que 4,6 %.
Les régiments régionaux d’Ancenis et de La Rochelle en totalisent chacun 3,7 %, ceux de Nantes 2,3 %.
On peut être surpris de trouver 2,8 % des victimes mareuillaises dans les régiments de Perrone, basés à Stenay dans la Meuse. Ces régiments subirent d’énormes pertes en 1914 (Ardennes, Bataille de la Marne et Argonne)[18] et on remarque que ces victimes mareuillaises décèdent à partir de 1915 ; on peut donc penser que des soldats vendéens y ont été affectés pour compenser les pertes des premiers mois. En effet, la consultation des fiches matricules de chacun d’eux nous confirme qu’ils sont tous passés au 64ème RI d’Ancenis ou au 93ème RI de La Roche pour être ensuite affectés au 120ème RI de Perrone à partir de mi-décembre 1914 ou en début d’année 1915.
Pour les raisons évoquées précédemment (développement de l’artillerie lourde), les pertes dans l’artillerie et le train sont essentiellement dans la seconde partie du conflit.
Le tableau nous révèle que les régiments yonnais furent particulièrement exposés pendant la guerre de mouvement en 1914 et les offensives en Artois en 1915.
Le tableau suivant répertoriant les lieux de décès des soldats va nous permettre d’affiner ces observations.
Le début des hostilités est terrible, on recense 11,55 % des victimes mareuillaises pendant les deux premiers mois du conflit. Le 64ème RI d’Ancenis est très éprouvé (8 victimes), notamment dans la Marne et les Ardennes. En septembre 1914, les Yonnais des 93ème RI et le 293ème RI sont impliqués dans la bataille de la Marne qui stoppera l’avancée allemande, notamment à la Fère Champenoise ; ils paieront le prix fort (10 victimes mareuillaises dont 6 dans les régiments yonnais). « Les soldats du 93ème se battent au corps à corps »[19]. Ceux du 83ème RIT sont engagés dans le Nord puis le Pas de Calais. Au total 17 soldats des régiments yonnais perdront la vie en deux mois. Quant au 137ème RI de Fontenay, il est engagé en Belgique, dans les Ardennes puis dans la Marne et comptera 7 victimes.
1915 est l’année complète la plus meurtrière pour les Mareuillais, principalement les 2ème et 3ème trimestres. Nous sommes entrés dans la guerre de position ; il faut tenir la ligne de front mais néanmoins chasser l’envahisseur. « Pour tenter d’y parvenir, le Maréchal Joffre préconise le grignotage de l’ennemi par des coups de boutoir. Ceux de 1915 sont donnés avec de puissants moyens : en Artois à deux reprises, et surtout en Champagne à la fin de l’hiver et au début de l’automne. A chaque fois la ligne de front ne recule cependant que de quelques kilomètres. (…) Le prix en pertes humaines est exorbitant au vu des résultats. C’est à cet égard la pire année de la guerre »[20]. Au printemps 1915, nous recensons des victimes dans le Pas de Calais et dans la Somme où les régiments yonnais sont impliqués. A l’automne 1915, nos soldats sont engagés dans la Marne (48 victimes, 11,1%) : en septembre 7 soldats du 293ème RI décèdent à Ville sur Tourbe et 4 du 93ème RI à Mesnil les Hurlus. Les opérations se déplacent en octobre à Tahure.
L’hiver 1916 connait une relative accalmie, mais au printemps les troupes vendéennes sont engagées dans le secteur de Verdun pour répondre à l’offensive allemande. « Force est de constater que ces ruraux ont été portés en première ligne plus souvent qu’à leur tour, supportant des pertes qui ont été parmi les plus lourdes (…). Le 93e RI, basé à La Roche sur Yon, initialement fort de 3335 hommes, souvent Vendéens, est engagé le 11 juin 1916 à Verdun : après le Chemin des Dames il ne compterait plus que 173 rescapés. Quant au 137e RI, basé à Fontenay le Comte, arrivé à Verdun le 23 du même mois, il se sacrifie presque totalement sur la crête de Thiaumont : même si l’image de ces soldats ensevelis debout dans la Tranchée des Baïonnettes relève de la légende »[21]. On dénombre 3 victimes yonnaises du 93ème RI et 5 du 293ème RI ; 3 victimes également pour les Fontenaisiens du 137ème RI et les Rochelais du 123ème RI. La contre-offensive de La Somme, débutée le 2 juillet 1916, fut une des batailles les plus meurtrières (442 000 morts au total), on y dénombre 17 victimes au niveau cantonal (3,9 %).
L’année 1917 sera la plus calme, à l’exception du printemps où l’offensive du Général Nivelle se soldera par un échec. On dénombre alors 11 victimes dans l’Aisne et 4 dans la Marne.
Les Allemands lancent une nouvelle offensive au printemps 1918. Ils sont aux abords de Compiègne et menacent à nouveau Paris. Avec les renforts américains, les alliés résistent puis passent à la contre-offensive décisive ; on dénombre à nouveau 11 victimes dans l’Aisne.
Très sollicités de 1914 à 1916, les régiments d’infanterie de l’ouest de la France semblent avoir été relativement épargnés dans les deux dernières années du conflit car leur nombre de victimes est réduit, voire nul.
Le front ouest immobilisé dans la guerre de tranchées, on oublie parfois qu’un front est ouvert au Proche Orient en 1915 ; les besoins humains sont conséquents. « Le recours aux troupes coloniales devint de plus en plus important au fur et à mesure que la guerre se prolongea. (…) Les Africains devaient être retirés du front à l’approche de l’hiver. (…) Les Noirs sont envoyés aux Dardanelles, où ils constituent petit à petit la majorité des troupes restées sur place »[22]. Un certain nombre de Mareuillais est incorporé dans ces troupes coloniales (Régiments d’Infanterie Coloniale, divers régiments de zouaves et tirailleurs) puisque ces régiments totalisent 17,3 % des victimes du canton. Ceci peut surprendre ; en fait certains y sont engagés volontaires et y ont parfois pris du galon. Le taux de « gradés » y est supérieur à la moyenne générale des victimes mareuillaises.
Nous notons que 3 soldats mareuillais du 3ème Régiment d’Infanterie Coloniale périrent dans le naufrage du Provence 2. Le 2 août 1914, le paquebot la Provence est réquisitionné et converti en croiseur auxiliaire. Il est rebaptisé Provence II, un cuirassé français portant déjà le même nom. À partir de janvier 1915, il est utilisé pour le transport de troupes vers les Dardanelles. Le 26 février 1916, alors qu’il se rend à Salonique avec à son bord un contingent de 2 000 militaires dont un important détachement du IIIe Régiment d’Infanterie Coloniale, 400 hommes d’équipage et environ 200 chevaux et mulets de l’armée, le croiseur auxiliaire Provence II est torpillé à tribord au large du cap Matapan (Grèce), en Méditerranée, par le sous-marin allemand U 35. Le bateau est surchargé et ne dispose pas de brassières de sauvetage en nombre suffisant, seuls 870 hommes ont survécu à ce naufrage[23].
Bien évidemment, tous les soldats ne mourraient pas au combat, il y avait de nombreux blessés soignés dans un premier temps dans les postes de secours puis dans les ambulances, ce sont les hôpitaux de campagne dressés à proximité des champs de bataille. Ils étaient ensuite évacués dans des hôpitaux répartis dans toute la France ou rapatriés en convalescence dans leurs foyers.
Il faut ajouter à cela les nombreux soldats qui tombaient malades. Les pénibles conditions de vie dans les tranchées (la chaleur étouffante en été mais surtout les hivers rigoureux de 1916/1917 et de 1917/1918, les pluies d’automne qui transforment les boyaux en bourbier) causent de nombreuses maladies, souvent respiratoires car combinées à l’utilisation de gaz asphyxiants. Ainsi, 57 Mareuillais (13,16 %) meurent dans leur commune ou dans un hôpital vendéen, dont 22 après l’armistice. Ils sont encore plus nombreux à décéder dans les hôpitaux répartis sur tout le territoire français.
Quant aux prisonniers de guerre, souvent portés disparus dans un premier temps, certains ne survivront pas aux conditions de détention et périront dans les camps en Allemagne et dans les territoires envahis, ou dans les camps suisses pour ceux qui ont été rapatriés sanitaires par la Croix-Rouge.
Conclusion
« La Grande Guerre a eu, dans l’horreur, un rôle pionnier. Les innovations « scientifiques » de la civilisation industrielle ont permis d’envoyer sans crier gare de nombreuses victimes au fond de l’océan, dans les hôpitaux des gazés par milliers, dans les camps de concentration les premiers déportés et les populations « déplacées » »[24].
Eloignés géographiquement des conflits, les Mareuillais, comme bon nombre de Français, s’en remettent tout d’abord aux informations véhiculées par la presse, censurée. La correspondance échangée avec les soldats ne peut pas tout dire… Mais bien vite les premières annonces de décès balaient l’optimisme affiché lors de l’appel à la mobilisation du 2 août 1914 et la vérité d’une guerre qui s’enlise dans un affrontement long et sanglant se fait jour.
Nous l’avons vu, le canton de Mareuil est particulièrement affecté avec un pourcentage de victimes bien supérieur à la moyenne nationale. Chaque commune, mais surtout presque chaque famille, est touchée. Il n’est pas facile, voire même impossible, d’expliquer les disparités entre les 13 communes du canton de Mareuil. Si certains résultats peuvent trouver justifications, la possibilité de pouvoir sortir « indemne » de cette tragédie dépend surtout de l’affectation et de la chance de chaque soldat. Aussi dans chaque village c’est avec anxiété qu’on attend des nouvelles ou qu’on reste dans l’incertitude bien après le 11 novembre 1918. L’armistice signé, certains ne reviendront pas ; d’autres, malades, blessés, amputés ou traumatisés, mourront dans les mois ou les années qui suivent ou resteront à la charge de leurs proches.
Dans chaque village, chaque famille doit s’organiser et tenter de se reconstruire. Le deuil et le devoir de mémoire font partie de cette reconstruction. Un sentiment de reconnaissance nationale nait très tôt : dans le Petit Journal du 22 février 1915, Jean Richepin de l’Académie Française, dans un article intitulé « La Reconnaissance Nationale » rapporte les propos d’un « spectateur » : « Je voudrais que pour ceux-là, pour les disparus, une œuvre se fondât afin qu’une plaque fut un jour fixée, dans leur ville ou dans leur village, soit au mur de leur maison, soit au mur de la maison commune. Ainsi leurs noms ne périraient pas. Ils ne doivent pas périr. Gravés dans le marbre, épelés par les enfants, répétés par les maîtres, ils seront honorés d’âge en âge. Et les plus sordides hameaux en marbre les anoblira. »
La guerre terminée, l’érection d’un monument aux morts est donc une décision importante dans chaque commune française. L’enjeu est fort, devoir de mémoire certes, mais aussi message idéologique et politique. Ainsi, outre le coût des projets, la nature même des ornements et décorations donnent parfois lieu à des discussions passionnées lors des prises de décision. Le canton de Mareuil n’en est pas épargné. Ce monument républicain peut-il arborer des références religieuses ? Les traumatismes et les rancœurs de la loi de séparation de l’église et de l’état de 1905 sont encore bien présents. Des compromis sont parfois négociés ou bien deux monuments distincts élevés, l’un communal sur la place du village ou dans le cimetière ; l’autre paroissial, le plus souvent une plaque de marbre apposée dans l’église.
Quoiqu’il en soit, ces monuments marquent la reconnaissance de la nation mais aussi de la société d’où l’importance de faire graver le nom d’un membre de sa famille, qu’il soit natif de la commune, qu’il y ait résidé ou travaillé, ou que ses parents y habitent. Nommer redonne existence, c’est retirer le disparu du néant. « Si les monuments aux morts sont bien souvent le lieu de l’identification avec les héros et le lieu de la justification de leur sacrifice, il est d’abord ce que les sculpteurs ont fait de la commande et ce que les participants aux cérémonies feront ensuite de leur œuvre » [25].
La loi du 24 octobre 1922 fait du 11 novembre, férié, un jour de "commémoration de la victoire et de la Paix".
Pascal PALLARDY
Article publié dans la revue de l’Association Culturelle du Pays Mareuillais (ACPM) « Au fil du Lay » N° 65 du premier semestre 2015 intitulée « La Première Guerre mondiale dans le Pays Mareuillais »
[1] Archives Nationales : Guerre 1914-1918. Fonds du ministère des Pensions : livres d'or des Morts pour la France. Département de la Vendée (1919-1935) Cote : 19860711/532 à 19860711/538
[2] Ouvrage collectif sous la direction de Philippe Rivé, Monuments de mémoire Monuments aux morts de la Grande Guerre, Mission Permanente aux Commémorations et à l’Information Historique, 1991, p. 59.
[3] Après l’offensive manquée du chemin des Dames au printemps 1917, le général Pétain, nouveau commandant en chef, institue une permission de 10 jours tous les 4 mois pour relancer le moral de ses troupes.
[4] En 1914, le canton de Mareuil comptait 13 communes. La commune de Dissais sera rattachée à Mareuil sur Lay en 1974 et celle de La Claye à La Bretonnière en 2000. La commune de Corps prend le nom de Corpe en 1921. En 2015, le canton des Moutiers les Mauxfaits est fusionné à celui de Mareuil sur Lay Dissais.
[5] Jay Winter, Victimes de la guerre : morts, blessés et invalides. In Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, Bayard 2004, pages 1075 à 1085.
[6] Jean Rousseau, 14 – 18 Les Poilus de Vendée, Centre Vendéen de Recherche Historiques, 2006, p. 127.
Pour David Shermer, La Grande Guerre 1914 – 1918, 1973, Edition Française Ed Cathay, 1977, p. 249 – 250. « Les morts civils, sans compter l’épidémie de grippe, s’élèvent à au moins 9 millions, bien que quelques auteurs en aient fixé le chiffre à plus de 12,6 millions. »
[7] Ibid., p 119.
[8] Ibid., p 29.
[9] Florence Regourd, in Monuments de mémoire Monuments aux morts de la Grande Guerre, Ouvrage collectif sous la direction de Philippe Rivé, Mission Permanente aux Commémorations et à l’Information Historique, 1991, page 59.
Jean Rousseau, op. cit., p. 119, supposait, quant à lui, que la commune de St Vincent Sterlanges avec 7% de victimes pouvait détenir ce triste record.
[10] Pour déterminer la classe d’un soldat, on ajoute 20 à son année de naissance. Un soldat né en 1877 est de la classe 1897 ; la classe correspond en fait à l’année théorique de recrutement militaire.
[11] Tableau de répartition des classes dans les armées active et territoriale et dans les réserves de ces armées du 1er octobre 1913 au 30 septembre 1914. ADV, Recueil des actes administratifs, Préfecture de la Vendée, 4 Num 219/104 - 1913, vue 502.
[12] Arnaud Carobbi, Le parcours du combattant de la guerre 1914/1918, https://combattant14-18.pagesperso-orange.fr/
[13] Les classes d’âge ont été calculées à partir du nombre d’hommes recensés en 1911, nombre entre parenthèses.
[14] Nous avons retiré les 3 soldats non morts des suites du premier conflit mondial et les double-comptes, c’est-à-dire que les 20 soldats inscrits dans 2 communes ne sont comptés qu’une fois.
[15] Tableau de répartition des classes dans les armées active et territoriale et dans les réserves de ces armées du 1er octobre 1913 au 30 septembre 1914. ADV, Recueil des actes administratifs, Préfecture de la Vendée, 4 Num 219/104 - 1913, vue 502.
[16] Alain Gérard, Les Vendéens des origines à nos jours, Cercle Vendéen de Recherches Historiques, 2001, p 400.
[17] Le nombre de pièces d’artillerie sera en moyenne multiplié par 3 en 1918. Colonel Frédéric Guelton, In Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, Bayard 2004, page 222.
[18] http://www.chtimiste.com/ Ce site très complet sur la première guerre mondiale inventorie les différents régiments français et leurs parcours, les batailles, il propose aussi des carnets de guerre et de nombreuses photos.
[19] Jean Rousseau, op. cit., p 35.
[20] Jean Rousseau, op. cit., p. 41.
[21] Alain Gérard dans sa présentation de « Les poilus vendéens. Lettres, photographies et carnets de route inédits. Annuaire de la Société d’Emulation de la Vendée et revue du Centre Vendéen de Recherches Historiques, N°7 – 2000, p. 11.
[22] Marc Michel, Les troupes coloniales dans la Guerre, In Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, Bayard 2004, page 343
[23] http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?article1985
[24] Pierre Miquel, La Grande Guerre, Fayard 1983, p 7.
[25] Annette Becker, Le culte des morts, entre mémoire et oubli, In Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, Bayard 2004, p. 1103.