L'Aiglon,
succès théâtral à Mareuil sur Lay
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Alors que le « Napoléon » de Ridley Scott remplit les salles, saviez-vous que Mareuil sur Lay connut aussi son heure napoléonienne ?
Le 15 novembre 1947 on pouvait lire dans le journal local : « Après Michel Strogoff et le Tour du Monde en 80 jours, la Troupe Artistique Mareuillaise présentera, sur la scène de la salle Jeanne d’Arc, avec l’autorisation spéciale du Châtelet : L’Aiglon, l’immortel chef-d’œuvre théâtral d’Edmond Rostand.
La première représentation aura lieu dimanche 30 novembre, à 20 heures (heure officielle). »[2]
L’entrefilet précise qu’il est obligatoire de louer ses places à l’avance chez M. F. Valoteau, chaussures, place de l’Eglise. La troupe va effectivement jouer à guichets fermés et le succès est tel que 11 représentations seront données jusqu’au 4 janvier 1948. Bien que plus de 3000 personnes aient pu assister au spectacle, 200 demandes de réservation n’ont pu être honorées pour la dernière[3]. C’est sans doute pourquoi il est décidé de reprogrammer 4 nouvelles séances au printemps 1948, du lundi de Pâques 29 mars au dimanche 18 avril 1948. Finalement une toute dernière, la seizième représentation, sera jouée le dimanche 25 avril 1948.
Edmond Rostand a écrit L’Aiglon en 1900. Ce drame en vers est joué pour la première fois le 15 mars 1900 au théâtre Sarah-Bernhardt et connait un triomphe avec Sarah Bernhardt dans le rôle du duc de Reichstadt, fils de Napoléon. La pièce sera jouée à maintes reprises durant les décennies suivantes tant par des troupes renommées que par des compagnies locales. En 1936 un opéra éponyme est créé. L’Aiglon sera interdit sous l’Occupation mais fera salle comble pendant deux années consécutives au théâtre du Chatelet à partir d’août 1945. C’est donc dans cette dynamique que la Troupe Artistique Mareuillaise décide de proposer cette pièce en 1947. Certains retrouveront certainement sur le programme les noms de Mareuillais qu’ils ont peut-être connus.
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Nous pourrions penser qu’il s’agit là d’une simple production théâtrale de campagne dont la troupe amateure se produit modestement avec les moyens locaux, chacun apportant sa pierre à l’édifice en fonction de ses propres compétences. Aussi sommes-nous surpris de constater que les décors sont confectionnés par la Maison Bourguais à La Roche sur Yon, les costumes par la Maison Peignon de Nantes et les perruques sont de la Maison Maillocheau de Fontenay-le-Comte. L’accompagnement musical au piano est effectué par Léon Berjon, professeur de musique à Luçon.
Notons également que les illustrations de la première et de la quatrième de couverture sont signées R. Espinasse. Il pourrait bien s’agir de Raymond Espinasse (1897-1985), peintre toulousain influencé par le fauvisme et le cubisme qui a côtoyé François Desnoyer, Jules Cavaillès, Maurice Utrillo ou Paul Signac. Mes recherches généalogiques sur 5 générations ne m’ont pas permis d’établir un lien de parenté direct avec Georges Alfred Espinasse (1879-1906), comédien dans la troupe de Sarah Bernhardt, père et grand-père de Pierre et Claude Brasseur, nés Espinasse.
Nous l’avons vu, le succès de la troupe mareuillaise est total. « L’auditoire conquis chaque fois dès le début, captivé dans un intérêt qui ne faiblissait pas un instant, ponctuant de ses applaudissements les mêmes passages à toutes les séances et dans un unisson parfait avec les acteurs, doué d’un cœur unanime pour rire aux pittoresques boutades de Flambeau, pour pleurer aux transports patriotiques ou aux sursauts corses du Duc de Reichstadt, pour palpiter lorsque Metternich brise les ailes de l’Aiglon, dans la fameuse scène de la glace, ou pour trépigner lorsqu’au 5ème acte , le malheureux prince n’en finit pas de s’enfuir et que chacun le sent prêt à crier : « Mais partez donc !... » Y a-t-il un mot qui convienne mieux que le mot « Triomphe ». »[5] Une affichette, éditée à l’occasion des reprogrammations du printemps 1948, nous livre au verso les commentaires élogieux recueillis après les séances automnales mettant en lumière la formidable prestation de Madame Colette Galipeau – Racofier[6] dans le rôle de l’Aiglon, raliant le reste de la troupe à son dynamisme :
Un spectateur avisé nous déclarait : « Votre Aiglon va voler de clocher en clocher ! » De fait, plus de 60 clochers ont déjà répondu à l’appel…
Un autre écrivait : « J’ai eu la joie de voir l’Aiglon une fois au théâtre Sarah-Bernard (sic !), une fois à la Comédie Française, deux fois au Châtelet. Votre Aiglon est magnifique : c’est une artiste qui pourrait s’aligner avec les professionnels ; elle a une fougue épatante et on sent dans son interprétation un souffle merveilleux… Elle est digne des grandes scènes parisiennes… D’ailleurs, nos félicitations doivent aller également à vos autres vedettes… »
Un autre : « J’espère que votre Aiglon continue à voler dans un ciel de gloire. Son jeu est magnifique. »
Un autre : « J’applaudis chaleureusement votre émouvant Aiglon. Ce fut un spectacle d’une rare qualité. »
Un autre : « J’estime la cohésion, l’homogénéité de la troupe. »
Un distingué professeur et fin lettré apporte ce jugement motivé : « Flambeau et Metternich mériteraient une mention spéciale… mais c’est l’Aiglon qui a entrainé si haut le reste de la troupe. L’aisance et le naturel des attitudes, la grâce ou l’énergie des gestes, selon les circonstances, la justesse des intonations, l’étonnante variété des tons de voix, la véhémence déchainée des moments d’indignation ou d’enthousiasme qui furent peut-être les plus sublimes de toute la pièce … en un mot, l’incarnation soutenue, vivante, vibrante du personnage du Duc de reichstadt… ne peuvent s’expliquer que par une sorte de génie naturel qui, d’un seul coup, a permis à cette jeune actrice de s’acquitter de son rôle avec un tel brio que plusieurs connaisseurs n’ont pas hésité à la comparer avec les professionnels du Châtelet ou de la Comédie Française… Qu’il nous soit permis d’exprimer l’espoir que beaucoup d’autres spectateurs pourront encore venir goûter les beautés du chef-d’œuvre de Rostand si admirablement et artistiquement rendues. » Un licencié es-lettres.[7]
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Dans la France d’après-guerre enorgueilli d’un patriotisme trop longtemps tu, le passage de l’Aiglon laissa longtemps son empreinte dans le souvenir des Mareuillais, comme en témoigne cette envolée retrouvée sur un tract annonçant la kermesse paroissiale du 8 août 1948 : « Mareuil, carrefour de la Plaine et du Bocage. Pays des coteaux verdoyants et du Lay paisible. Cité des vins délicieux. Poétique capitale de l’Aiglon. »[9]
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Pascal Pallardy, novembre 2023
[1] Première de couverture du programme de L’Aiglon édité pour les représentations du printemps 1948 à Mareuil sur Lay. Format 22,5 x 18,2 cm, couverture légèrement cartonnée, 4 pages comportant un résumé de la pièce, le programme et la distribution des rôles. Imprimerie Farré & Freulon – Cholet. Collection personnelle.
[2] Ouest-France du 15 novembre 1947, page 4.
[3] H. Giraud (licencié es-lettres), Un évènement dans l’histoire de Mareuil, Chroniques paroissiales manuscrites de Mareuil sur Lay, publié en 1990 dans le Fil du Lay n°16 pages 12 et 13.
[4] Pages intérieures du programme de L’Aiglon édité pour les représentations du printemps 1948 à Mareuil sur Lay.
[5] H. Giraud, op. cit.
[6] Colette Racofier est née à Mareuil sur Lay le 24 juin 1928 et décédée à Cholet le 29 janvier 2010.
[7] Verso de l’affichette publiée en mars 1948 à l’occasion de la reprise de la pièce, Imp. Farré et Freulon – Cholet. Collection personnelle.
[8] Affichette recto/verso éditée pour les représentations de L’aiglon à Mareuil sur Lay au printemps 1948, format 21 x 13,5 cm.
[9] Ouest-France du 6 août 1948, page 4. L’article mentionne que ces tracts avaient été lancés d’un avion survolant la cité mareuillaise et les communes environnantes.
[10] Quatrième de couverture du programme de L’Aiglon édité pour les représentations du printemps 1948 à Mareuil sur Lay.