Arrêt sur images à Mareuil sur Lay et ses environs
Le dernier maréchal-ferrant
de Mareuil sur Lay
En 1903 et 1914 on ne comptait pas moins de 7 forgerons et maréchaux à Mareuil sur Lay. Leur nombre va décroitre à mesure que la mécanisation va gagner du terrain, il ne restera en 1947 plus que 2 forgerons et 2 maréchaux-ferrants. Située au cœur du bourg sur la place principale, la forge de mon père, Henri Pallardy, est un élément identitaire fort du Mareuil sur Lay des années cinquante ; le chant du marteau sur l’enclume rythme la vie de chacun. Elle fut la dernière à rester en activité.
Le 31 mars 1913 à Mareuil sur Lay, Eugène Benjamin Prosper Ledoux se marie avec Marcelline Ernestine Louise Duret. Eugène et Marcelline, la sœur de ma grand-mère Marie, sont les « parents adoptifs » de mon père[1]. Tous deux âgés de 24 ans, Eugène est maréchal-ferrant chez Emmanuel Blaineau à Mareuil, et Marcelline est couturière. Emmanuel Blaineau est maréchal-ferrant à Mareuil depuis au moins 1896.[2] Il est l’un des 2 témoins de mon grand-oncle, Eugène Ledoux, lors de son mariage et, le 17 février 1914, il cède en viager le fonds de maréchalerie, la maison et un petit jardin aux époux Ledoux. Il semble qu’Eugène était déjà employé chez Emmanuel Blaineau avant son départ au service militaire en 1909.
Eugène et Marcelline succèdent donc aux époux Blaineau qui semblent ne pas avoir eu d’enfants ; on peut penser que l’annonce de la mobilisation générale du 1er août 1914 n’a pas dû réjouir les jeunes mariés. Nous avons vu, cependant, dans notre article « la grande guerre de mes 3 grands-pères », qu’Eugène Ledoux est placé en « sursis d’appel au titre de maréchal-ferrant à Mareuil » au bénéfice de la loi Dalbiez du 17 août 1915 qui « assure la juste répartition et une meilleure utilisation des hommes mobilisés ou mobilisables ». Il poursuivra alors son activité à Mareuil jusqu’à son décès le 9 décembre 1937.
Eugène a appris le métier à son jeune neveu, Henri Pallardy, mon père. Après le décès de son oncle, Henri gère l’entreprise, employant un ou deux ouvriers. Le 20 février 1951, Marcelline Ledoux vend en viager le fonds de maréchalerie aux époux Pallardy. Le fonds de maréchalerie comprenait :
« la clientèle et l’achalandage y attachés ;
le matériel servant à son exploitation : Un soufflet usagé 5 000 F
Une enclume 1 000 F
Trois marteaux 600 F
Deux paires de tenailles 400 F
Un travail sans courroies 1 300 F
Un étau en fer 200 F
Outillage divers et accessoires 1 500 F » [3]
L’activité est alors intense et les souvenirs de Jacques Braud, à la fin des années cinquante, nous en dressent un fidèle tableau[4] :
“C’est le hennissement d’un cheval attendant son tour chez le maréchal-ferrant, attaché par sa longe à l’une des barres de fer qui ceinturent la grand-place qui m’a réveillé. “La corvée de ramassage de crottin est pour bientôt”, pesté-je (j’ai horreur de m’afficher sur la place avec le baquet et la pelle à charbon pour sacrifier à cette tâche que me confie ma mère). L’enclume de la forge tinte sous les coups réguliers, ébranlant l’air de son carillon sonore, avec de temps en temps trois coups décroissants du rebond du marteau et les quelques secondes de pause avant la reprise du concert qui mêle ses notes à celles de l’Angélus.” (p.217) J’ai encore en tête ce rythme régulier de Riquet frappant l’enclume... et l’odeur de la corne brûlée (que je ne détestais pas) s’élevant lorsque le fer rougi est posé sur le sabot. Quant à la corvée de crottin, les animaux étaient bien plus rares à mon époque, et seul Riquet récupérait les précieux excréments, gages d’un jardin fertile qui faisait la fierté de Papa lorsqu’il accueillait l’un de ses frères. “Un peu plus haut dans la rue, M. Pallardy, lui, encombrait le trottoir avec les chevaux attachés aux anneaux scellés dans le mur de chaque côté des vantaux de son antre de Vulcain. Mais baste! On pouvait emprunter la chaussée sans risque, la circulation était plutôt fluide, bien qu’on fût sur la route La Roche-Luçon.” (p.255)
Les enfants sont des témoins avisés que ce soit sur le chemin de l’école : “nous attardant parfois devant le spectacle du ferrage d’un cheval de labour ou d’un bœuf chez M. Pallardy, rejoignant en chemin d’autres écoliers” (p.44), dans la cour de récréation lors de jeux de rôles “mimant les gestes maintes fois observés devant la forge de M. Pallardy ou celle de M. Duret” (p.50), ou en classe : “Le silence studieux n’était troublé que par le fracas des doubles débrayages des « camions-Libaud » en provenance de la carrière des Roches Bleues sur la route de Château Guibert remontant à pleine charge la rue et démarrant du stop de la Poste pour s’engager sur la nationale, le tintement sonore des marteaux de M. Pallardy et de son aide « Buffe la Rouille » battant le fer sur l’enclume, le hennissement des chevaux attachés aux barres cernant la place…” (p.48). Nous avons en effet grandi avec le tremblement des fenêtres de la maison occasionné par les camions Libaud changeant de vitesse juste devant chez nous! “Peu de paysans ont pu faire l’acquisition d’un tracteur et “la plus noble conquête de l’homme” est encore à l’honneur. La forge de M. Pallardy résonne des coups sur l’enclume et déjà me parviennent les hennissements de percherons qui attendent que le forgeron et son aide leur clouent des fers neufs, au grand bénéfice des moineaux qui viennent picorer le crottin, et des géraniums de ma mère. .../... Il y a un autre forgeron-maréchal-ferrant à Mareuil : M. Duret .../... Sa forge se situe à l’orée du bourg, au milieu des jardins en pente vers la vaste prairie bordant la rivière. .../... J’ai plusieurs fois assisté chez lui à la cérémonie impressionnante du ferrage d’un bœuf qu’on attache dans le “travail”, du même nom que l’instrument de torture romain, le tripalium, dont le maitre nous a parlé en histoire. De larges courroies sont tendues sous le ventre à l’aide des treuils latéraux à cliquet et les pattes sont ligotées aux montants de l’échafaudage, le tout au milieu des beuglements épouvantables du monstre, des nuages de fumée et de l’odeur âcre provenant de la corne des sabots brûlée par le fer rouge. Ajoutez à cela l’obscurité relative du lieu, les outils bizarres accrochés aux murs noircis, comme dans une salle de torture moyenâgeuse et l’énorme soufflet-dragon suspendu au-dessus de la forge crachant sur les braises rougeoyantes son haleine enflammée, les imprécations et les jurons des officiants aux trognes rougies luisantes de sueurs et tordues par les rictus dus à l’effort et vous aurez une vision à peu près exacte de l’image qu’un gamin de huit ans pouvait se faire de l’enfer dont lui parlaient ses copains fréquentant le catéchisme. L’enfer c’est la forge du Père Duret.” (p.261-262) Chez nous on disait le “tramail”. Il ne servait plus que pour les chevaux les plus fougueux puisqu’à mon époque les tracteurs avaient remplacé les bœufs.
Riquet sera le dernier maréchal-ferrant en activité à Mareuil sur Lay ; un article paru le 27 novembre 1980 dans Ouest-France témoigne :
Mon père prendra sa retraite le 31 décembre 1980 à 66 ans. Il en profitera pour repeindre la forge en blanc et exposer outils et fers sur des panneaux. En juillet 1982 je le déciderai à reprendre une dernière fois le manche à l’occasion d’une foire à l’ancienne que nous avions organisée avec le centre de loisirs de Mareuil.
En 2009, la maison, propriété familiale depuis 95 ans, est vendue. Après plus d’un siècle au service des équidés, elle accueille désormais l’institut de beauté « Esprit de soie ».
[1] Agé d’environ 8 ans, mon père Henri est allé vivre chez son oncle et sa tante de Mareuil sur Lay qui n’avaient pas pu avoir d’enfant. A l’époque, « quitter » une famille nombreuse, que mon grand-père entretenait avec son salaire de maçon, était sans doute un espoir de réussite sociale pour le sage petit Riquet choisi par sa tante Marcelline. Même si seulement 10 kms séparaient les deux foyers, je n’ose imaginer la déchirure ressentie par le petit garçon séparé de ses frères et sœurs, et sans doute pour ses père et mère. C’était ainsi en ce temps-là. Bien des années plus tard, ma grand-mère Marie dit à ma mère juste après son mariage avec Riquet : « Vous ferez ce que vous voudrez et je ne me mêlerai pas de vos affaires, mais surtout, ne vous séparez jamais de vos enfants ».
[2] Recensement de la population de 1896, ADV, vue 7/33. Emmanuel Blaineau et sa femme Mélanie Drouet ont alors 29 ans. A chaque recensement le couple héberge un jeune ouvrier maréchal-ferrant.
[3] Acte de cession du fonds de maréchalerie par Marcelline Ledoux aux époux Pallardy, dressé le 20 février 1951 en l’étude de Maître Gabriel Clénet, notaire à Mareuil sur Lay.
[4] Jacques BRAUD, Les genoux écorchés Souvenirs d’une enfance en Vendée, Geste éditions, 2014.
Pascal Pallardy, mai 2021
Crédit photos : © Pascal Pallardy
Fin des années 70
Années 70
Fin des années 70
1982
1982
1982
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Sur la carte-photo de 1925, Eugène Ledoux se tient à gauche et le garçonnet au milieu doit être mon père, Henri Pallardy.