Joseph Pallardy en 1926
René Herbreteau en 1890
Eugène Ledoux
La Grande Guerre de mes 3 grands-pères.
Joseph Pallardy, papa en 1914… et en 1918 !
Dans la famille Pallardy, on avait l’habitude de dire qu’il était facile de se souvenir des années de naissance d’Henri, mon père, et de Maurice, mon oncle, puisqu’elles correspondaient avec celles de la Première Guerre mondiale. En effet, mon père, Riquet, est né le 21 novembre 1914 et Maurice le 8 mars 1918. Mais à l’occasion du centenaire de ce premier conflit mondial, je me demande si mon grand-père Joseph a été lui aussi emporté dans ce tourbillon infernal ou s’il en a été préservé étant alors dispensé pour soutien de famille…
Le 1er août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La mobilisation générale est décrétée. A Luçon, mes grands-parents Joseph et Marie Pallardy, née Duret, qui habitent 22 rue des Carrières avec leurs 3 enfants : Renée, 5 ans ; Edmond, 3 ans ; et Marie, 1 an ; ne partagent peut-être pas l’enthousiasme général. Joseph, alors ouvrier maçon, va-t-il devoir laisser sa famille pour satisfaire à son devoir national ou va-t-il pouvoir rester auprès des siens, d’autant plus que son épouse est enceinte de 6 mois ? La consultation des archives militaires sur le site des Archives Départementales de la Vendée[1] va nous permettre de répondre à cette question.
Né le 2 mars 1884 à Luçon, Joseph Jules Jean Pallardy fait partie de la classe 1904. Le recensement cantonal de Luçon arrêté le 12 janvier 1905 nous apprend que Joseph est alors domestique cultivateur à Sainte Hermine. Son degré d’instruction est de 3, c’est-à-dire qu’il sait lire, écrire et compter ou possède une instruction primaire plus développée[2]. Mon aïeul a des connaissances en «équitation, soins des chevaux, aptitude à conduire des voitures» mais n’a pas d’aptitudes en musique, vélocipédie et colombophilie. Nous mesurons là l’évolution technologique en un siècle tant dans les transports que dans les communications. Joseph est déclaré bon pour le service mais il fait une demande d’exemption pour soutien de famille et est dispensé le 30 mai 1905. On peut se demander ce qui justifie cette décision. Joseph n’est pas encore marié, il épousera Marie le 6 juillet 1908 à Luçon. Peut-être a-t-il fait valoir qu’il devait subvenir aux besoins de ses parents, Jean Pallardy et Justine (ou Augustine) Guinot alors âgés respectivement de 70 ans et 63 ans. Joseph est le plus jeune de la famille, il a une sœur de 3 ans son ainée, Julia, mariée depuis le 6 octobre 1902 à Luçon avec Louis Bibard ; et plusieurs demi-frères et demi-sœurs bien plus âgés issus du premier mariage de ses parents qui, tous deux veufs, s’étaient remariés le 11 juin 1877 aux Magnils Reigniers.
En 1905 donc, ces derniers habitent seuls rue de Paris à Luçon. Sur les différents recensements, mon arrière-grand-père, Jean, est noté maçon chez Lecomte en 1901 puis journalier en 1906 et enfin maçon chez Boutevillain (son voisin) en 1911 ; il a alors 76 ans même s’il en déclare 10 de moins lors de ces 3 enquêtes !!! (Peut-être pour pouvoir justifier une embauche chez un patron ?) Augustine recule aussi progressivement sa date de naissance au fil des recensements. Ils décèderont en leur domicile le 29 mai 1914 et le 22 avril 1913.
Revenons-en à mon grand-père Joseph en consultant sa fiche matricule. Alors que la photographie n’est pas encore un élément incontournable de toute identité, son signalement nous révèle que Joseph PALLARDY a les cheveux et les sourcils bruns, les yeux gris, le front ordinaire, le nez pointu, la bouche moyenne, le menton rond et le visage ovale et qu’il mesure 1m65.
Sa dispense pour soutien de famille a dû être levée car le 8 octobre 1905, Joseph est incorporé au 137ème Régiment d’Infanterie de Fontenay le Comte et il sera mis en disponibilité de l’armée active avec un certificat de bonne conduite le 18 septembre 1906.
Rappelé à l’activité par le Décret de Mobilisation Générale du 1er août 1914, il arrive au corps le 4 août mais sera réformé N°2 par la commission de réforme de Fontenay le Comte le 11 novembre 1914 pour psoriasis généralisé. Le 23 novembre 1914 à 10 heures du matin, c’est donc lui qui déclare la naissance de son fils, Henri, à la mairie de Luçon.
Mais la guerre fait rage, le début des hostilités est terrible. La Marne, les Ardennes, le Pas-de-Calais ou la Somme sont maintenant des noms de batailles. Nous sommes entrés dans la guerre de position et il faut tenir coûte que coûte la ligne de front. Le prix en pertes humaines est exorbitant et on a besoin d’avancer l’appel de la classe 1915 et des suivantes. Nous ne sommes donc pas surpris que Joseph passe devant le Conseil de Révision de Vendée et qu’il soit déclaré apte au service armé le 17 mai 1915, confirmé par l’avis ministériel du 7 août 1915. Joseph est donc affecté au 93ème Régiment d’Infanterie de La Roche sur Yon le 9 septembre 1915.
Le 10 octobre 1915, Joseph est transféré dans la Territoriale car il est père de 4 enfants. A cette époque, les soldats sont répartis en fonction de leur âge dans les armées d’active, territoriale ou de réserve[3]. Les classes 1911 à 1914 sont dans l’armée active, et les classes 1900 à 1910 dans la réserve de cette armée active. Ce sont ces régiments qui sont envoyés en premières lignes. Les classes 1893 à 1899 sont dans l’armée territoriale et les classes 1887 à 1892 constituent la réserve de cette dernière. Ces soldats, les plus âgés et les moins entrainés, sont donc cantonnés dans ces régiments territoriaux qui ne devaient, en principe, pas coopérer aux opérations militaires et étaient chargés des services d’intendance ou de gardes à l’arrière du front ou à l’intérieur du pays.
Joseph passe donc au 83ème Régiment d’Infanterie Territoriale de La Roche sur Yon. En 1916 ce régiment est cantonné dans la Somme puis en Lorraine en 1917. Après l’offensive manquée du chemin des Dames au printemps 1917, le général Pétain, nouveau commandant en chef, institue une permission de 10 jours tous les 4 mois pour relancer le moral de ses troupes. Mon grand-père a dû bénéficier de cette mesure en juin 1917 puisque son 5ème enfant, Maurice, nait le 8 mars 1918.
En 1918, Joseph change plusieurs fois de régiment : le 58ème RIT le 3 janvier 1918 puis le 96ème RIT le 13 août 1918 et enfin le 5ème génie le 9 novembre 1918. Il est mis en congé de démobilisation le 11 février 1919 par le 90ème Régiment d’Artillerie Lourde et rentre définitivement à Luçon.
[1] Liste de tirage au sort et de recrutement cantonal de Luçon 1904. ADV 1 R 182, vue 418/786.
Registre Matricule Militaire Fontenay Le Comte 1904. ADV 1 R 593, Fiche matricule N° 1167, vue 307/861.
[2] Les détenteurs du Certificat d’Etudes Primaires étaient également recensés dans le niveau 3.
[3] Tableau de répartition des classes dans les armées active et territoriale et dans les réserves de ces armées du 1er octobre 1913 au 30 septembre 1914. ADV, Recueil des actes administratifs, Préfecture de la Vendée, 4 Num 219/104 - 1913, vue 502.
René Herbreteau, soutien de famille.
Mon grand-père maternel René François Herbreteau est né le 1er avril 1868 à Fougeré. La liste de recrutement[1] de la classe 1888 dressée le 26 janvier 1889 nous apprend que René est cultivateur à Bournezeau. Il a les niveaux 1 et 2 d’instruction, il sait donc lire et écrire. On ne lui reconnait pas de compétences particulières en « équitation, soins des chevaux, aptitude à conduire des voitures » ni en musique. René est classé « Bon pour le service ». Le signalement de sa fiche matricule[2] nous rapporte qu’il a les cheveux et les sourcils châtains, les yeux châtain clair, le front ordinaire, le nez moyen, la bouche grande, le menton rond et le visage ovale et qu’il mesure 1m65.
Le 13 novembre 1889 René est affecté au 64ème Régiment d’Infanterie d’Ancenis pour être muté dès le 25 novembre au 118ème RI de Quimper. Soldat de 2ème classe, il est envoyé le 14 novembre 1890 en congé en attendant son passage dans la réserve de l’armée active prévu le 1/11/1892 car il est « l’ainé d’une famille de 7 enfants vivants[3] ». Son certificat de bonne conduite lui est accordé.
René se marie le 7 octobre 1893 aux Pineaux Saint Ouen avec Marie Roy dont il aura 3 filles, Marie en 1894, Marguerite en 1896 et Alice en 1898.
Il effectuera deux périodes d’exercices militaires au 93ème RI de La Roche sur Yon en 1895 et 1899 mais sera dispensé de sa période d’exercices dans l’armée territoriale en 1905 (dispense 6%). La dispense 6% est la plus fréquente. Elle indique que 6% des réservistes de chaque corps d'armée pouvaient être dispensés d'une période d'exercices car "soutiens indispensables de famille". René est en effet veuf depuis le 3 avril 1905.
Le 10 septembre 1907 il se remarie avec Fernande Allain, ma grand-mère. (Voir sur ce site notre article « Qu’en dira-t-on. Ou comment la mémoire familiale peut vaciller. » dans la rubrique « Histoires de famille »).
[1] Liste de tirage au sort et de recrutement cantonal de La Roche sur Yon 1888, ADV, 1 R 166, vue 22/695.
[2] Registre Matricule Militaire La Roche sur Yon 1888, ADV, 1 R 462, Fiche matricule N° 1372, vue 404/541.
[3] Les parents de René, Hyppolite Herbreteau et Henriette Gautron, ont eu 12 enfants ; René en est le troisième, ses deux sœurs ainées, Victorine et Gabrielle, sont déjà mariées, deux enfants plus jeunes, Ernestine et Ernest, sont décédés dans leur première année en 1878 et 1879.
Eugène Ledoux : Quand l'histoire familiale rencontre l'Histoire ... des Vendéens.
Mais qui peut bien être cet Eugène, mon troisième « grand-père » ?
Le tableau de recensement cantonal des jeunes gens rédigé au premier trimestre 1909 nous apprend qu’Eugène n’habitait plus chez ses parents à Curzon mais à Mareuil, sans doute pour y exercer son métier de maréchal-ferrant, peut-être déjà chez Emmanuel Blaineau. Son signalement nous précise qu’il a les cheveux et les sourcils châtains, les yeux gris, le front ordinaire, le nez et la bouche moyens, le menton rond et le visage ovale. Il mesure 1,68m. Il n’est pas musicien mais sait monter, conduire et soigner les chevaux ; il est aussi vélocipédiste.[2]
Eugène a fait son service militaire au 3ème régiment de Dragons de Nantes (cavalerie) du 1er octobre 1909 au 24 septembre 1911. Y exerçait-il son métier de maréchal-ferrant ? Il était soldat de 2ème classe[3]. Son signalement est identique mais la taille est alors de 1,64m! Eugène a un degré d’instruction de niveau 3, c’est-à-dire « jeune homme qui sait lire, écrire et compter ou possède une instruction primaire plus développée ».
A l’issue de son service militaire, Eugène est ouvrier dans la forge d’Emmanuel Blaineau (recensement de la population de Mareuil de 1911).
Eugène réintègre son régiment de Nantes le 3 août 1914[4] et part au front le 18 août. Il obtient une citation à l’Ordre du Régiment 303, du 11 décembre 1918 : « Soldat dévoué sur le front depuis le début a pris part en qualité de cavalier à l’affaire de Tournai Belgique en août 1914 où il s’est distingué par son courage et son sang-froid. »[5]
« À Tournai, le statut de neutralité belge d’alors peut expliquer l’absence de système défensif. Fraîchement débarqués du train dans le nord de la France, deux bataillons des 83e et 84e régiments de La Roche et Fontenay marchent vers Tournai pour contrer l’avancée fulgurante allemande. Les Français ne sont armés que de fusils Lebel, n’ont ni artillerie, ni mitrailleuses, au contraire de l’ennemi. Une bataille inégale et sans merci pour le contrôle de Tournai se joue à 1 contre 20 dès l’aube du 24 août. Pendant la retraite, « la cavalerie assure la sureté de la division sur son flanc gauche et ses arrières »[6]
Dans le centre-ville de Tournai, un monument commémore la mémoire des soldats vendéens tombés le 24 août 1914. Les victimes sont ensevelies sous un tertre surmonté d’une statue de 3,50m représentant un géant en référence au surnom de "Géants de la Vendée" qu’avait donné Napoléon Bonaparte aux Vendéens en hommage à leur bravoure lors de leur soulèvement contre la Convention. Les blasons de Fontenay, des Sables d’Olonne et de La Roche-sur-Yon y sont représentés. »[7]
Eugène est affecté au 83ème Régiment d’Infanterie de la Roche-sur-Yon le 29 novembre 1915. Il est placé en « sursis d’appel au titre de maréchal-ferrant à Mareuil » au bénéfice de la loi Dalbiez du 17 août 1915 qui « assure la juste répartition et une meilleure utilisation des hommes mobilisés ou mobilisables ». Il semble donc qu’à partir de cette date, Eugène réintègre Mareuil pour y exercer son métier.
Eugène et Marcelline Ledoux ont acheté l’immeuble voisin de la forge le 28 novembre 1921 et y ont créé le fonds de commerce de café-restaurant Le Central en 1922. (Voir dans notre rubrique « Arrêt sur Images » la page consacrée au Central Café de Mareuil sur Lay).
Eugène décèdera en son domicile à Mareuil sur Lay le 9 décembre 1937 à 49 ans.
[1] Agé d’environ 8 ans, mon père Henri est allé vivre chez son oncle et sa tante de Mareuil sur Lay qui n’avaient pas pu avoir d’enfant. A l’époque, « quitter » une famille nombreuse, que mon grand-père entretenait avec son salaire de maçon, était sans doute un espoir de réussite sociale pour le sage petit Riquet, choisi par sa tante Marcelline. Même si seulement 10 kms séparaient les deux foyers, je n’ose imaginer la déchirure ressentie par le petit garçon séparé de ses frères et sœurs, et sans doute également pour ses père et mère. C’était ainsi en ce temps-là. Bien des années plus tard, ma grand-mère Marie dit à ma mère lors de son mariage avec Riquet : « Vous ferez ce que vous voudrez et je ne me mêlerai pas de vos affaires, mais surtout, ne vous séparez jamais de vos enfants ».
[2] Tableau de recensement cantonal des jeunes gens, ADV, Fonds de la préfecture 1R186, classe 1908, vue 786/940)
[3] Registres matricules militaires, ADV, classe 1908, bureau de recrutement de la Roche sur Yon, 1R632, fiche matricule n°568, vues 124 & 125/936)
[4] Ce régiment, en garnison à Nantes au début de la guerre, compte à son départ de Nantes 33 officiers, 69 sous-officiers, 582 brigadiers et cavaliers, qui viennent de Bretagne et de Vendée, et 671 chevaux.
[5] Registres matricules militaires, ADV, classe 1908, bureau de recrutement de la Roche sur Yon, 1R632, fiche matricule n°568, vue 125/936)
[6] Journaux des Marches et Opérations des corps de troupe (J.M.O.), mémoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr, Cavalerie, 3ème régiment de dragons, 26 N 878/18, pages 6 à 9
[7] D’après le site de la ville de Tournay :
https://www.tournai.be/decouvrir-tournai/patrimoine-civil-et-militaire/monument-des-vendeens.html
Signature de Joseph Pallardy
le 23 novembre 1914
Une photo de famille prise en 1915, probablement au moment de son incorporation, et dont on imagine que Joseph gardait précieusement un exemplaire dans la poche intérieure de son uniforme. On y reconnait de gauche à droite : Marie, Edmond, Renée, Henri et leur mère, Marie.
Une photo de la famille Herbreteau prise en 1916 ou 1917 : René, Fernande, et leurs enfants René et Denise.
Yvonne ne naitra qu'en 1922.
Passé dans la réserve de l’armée territoriale en 1908, René ne sera pas mobilisé en 1914 parce qu’il est alors père de 5 enfants ; de sa seconde union sont alors nés René en 1908 et Denise en 1914. Les soldats mobilisables les plus âgés sont nés en 1867 mais beaucoup, comme René, sont dispensés car père de famille nombreuse. Ceux qui sont néanmoins rappelés sont dans les régiments de réserve de la territoriale, moins exposés. A titre d’exemple, dans le canton de Mareuil les deux victimes de la première guerre mondiale les plus âgées sont nées en 1869.
Pendant le premier conflit mondial, René Herbreteau travaillera donc sa terre auprès des siens, dans la ferme qu’il exploite au village des Bouchais à la Chaize le Vicomte.
Le 31 mars 1913 à Mareuil sur Lay, Eugène Benjamin Prosper Ledoux se marie avec Marcelline Ernestine Louise Duret. Eugène et Marcelline, la sœur de ma grand-mère Marie, sont les « parents adoptifs » de mon père[1]. Tous deux âgés de 24 ans, Eugène est maréchal-ferrant chez Emmanuel Blaineau à Mareuil, et Marcelline est couturière. Emmanuel Blaineau est l’un des 2 témoins de l’époux lors du mariage et, le 17 février 1914, il cèdera en viager le fonds de maréchalerie, la maison et un petit jardin aux époux Ledoux.
Eugène et Marcelline doivent donc succéder aux époux Blaineau qui semblent ne pas avoir eu d’enfants ; on peut penser que l’annonce de la mobilisation générale du 1er août 1914 n’a pas dû réjouir les jeunes mariés.
Marcelline Duret et Eugène Ledoux le jour de leur mariage à Mareuil sur Lay, le 31 mars 1913.
Monument des Vendéens à Tournai, Belgique. (Carte postale ancienne NELS)